Twelve  years after !

 

 

Cher Renaud,

 

  Jusqu’à l’interview à la télévision menée par Frédéric Mitterrand, où ta sincérité crevait l’écran, je ne connaissais de toi que le personnage, pas la personne.

Et soudain, le sourire timide, tu te livrais, avec tes faiblesses, tes déceptions, tes critères et tes engagements profonds. Maladroit, mais déterminé, sous chaque difficulté, à trouver le mot juste, on sentait une volonté farouche de vérité, une âme claire dans un monde qui l’était moins…

D’un voyage de dupes à Moscou à un concert frelaté pour « soutenir » des grévistes à qui l’on fait payer leur place, de  récupération « n malentendus, tu évoluais en terrain miné, comme  un porteur d’étendard qu’on envoie en première ligne pour attirer le feu sur lui. En rupture de confiance, tu assumais tes convictions en serpentant, parfois, avec écœurement sur les sentiers tortueux de la nature humaine.

En un mot, tu en prenais plein la tête et tu tenais le cap, avec courage.

Cet entretien, comme un moment de vérité,  été le point de départ de notre estime et du respect que  tu nous inspires toujours…Et suivant des itinéraires parallèles, de ce qui d’ordinaire ne se rencontrent jamais,  nous nous sommes croisés avec bonheur….Tu es venu à la maison. Une soirée toute  simple, autour des chansons, des métiers , où l’amitié était assise à table avec nous. sur le tapis du salon, au café, nos affinités étaient nombreuses…Patrick Pagès, notre ami cévenol, a rejailli aussi des profondeurs de ton enfance jusque dans notre paysage commun

Nous préparions la rentrée au Zénith  et « Mistral Gagnant » était au programme. Tu nous as offert en présentation du concert un texte serti d’humour : «  Yves D m’énerve …(1)»

Ton hypersensibilité faisait de toi un être blessé. Au milieu du public, le soir, tu nous disais ressentir le regard des gens comme des lames de poignard…

Quelques mois plus tard,  dans une de tes chroniques à propos des droits de l’Homme, tu me suggérais, avec le sourire,  d’écrire à mon ami Chirac  afin d’intervenir en faveur d’un prisonnier d’opinion condamné à mort par le régime argentin  pendant que  tu le signalerais de ton coté à Mitterrand...  Je t’ai répondu sur e même ton- et je crois que tu as publié ma réponse- que, si  « nos » prisonniers  n’étaient pas toujours les mêmes, les démarches étaient semblables… Et nous avons convenus qu’un jour nous ferions ensemble un concert pour le Tibet… Nous l’avons fait depuis pour Ingrid Bétancourt.

Le hasard a voulu que  la campagne  pour la présidentielle coïncide avec ta rentrée en 95. Interrogé sur ton choix par le journaliste du 20 heures sur France 2, tu  lui réponds en direct de ta loge  que tu pensais parler chanson, non politique, mais comme il insiste, tu lui envoies sur les « bandits auxquels il faut barrer la route » qui fait soudain baliser la rédaction, au regard du CSA… Aussitôt, France 2 cherche une réplique pour rééquilibrer le débat. Le lendemain, j’étais interrogé à mon tour… Et le soir des résultats, à la maison, un feuillet sort de notre  fax. Tu y as dessiné ton visage, avec des larmes qui coulent,  et en dessous : « Bravo, et bonne chance… »

    Dans notre monde ultra-codifié, qui cultive volontiers ce qui nous divise, il est rare de pouvoir, en toute simplicité, partager ce qui nous rassemble. Nous avons en commun de nous être engagés, chacun de notre côté, pour des hommes différents, mais pour un même idéal de liberté, de respect, de vérité et de justice. J’ai le sentiment que ce lien entre nous survit au temps, à la distance  et aux épreuves que la vie a mis sur nos chemins.. Il m’est arrivé de faire appel à cette fraternité en des circonstances inattendues. Le ministre de la Culture m’avait chargé d’une mission sur la chanson française, et je m’acquittais de cette tâche dans les moindres détails. Il s’agissait, ce jour-là, de faire adopter par le Sénat un amendement créant la notion de «  prix anormalement bas »  du disque, pour sauver les rares disquaires qui survivaient encore à la concurrence des hypermarchés. J’avais obtenu un rendez-vous à midi avec le ministre du Budget, Yves Galland,  résolument opposé à cet amendement. Le matin même, le duel devait avoir lieu sur ce thème dans l’Hémicycle. J’avais demandé à Philippe François, sénateur de Seine-et-Marne,  de me soutenir. Et j’ai eu soudain l’idée de t’appeler pour que tu demandes à un certain sénateur de tes amis de participer lui aussi à ce vote même si d’ordinaire, seuls les membres de la commission s’expriment rn pareil cas. « Mon » texte l’a emporté- d’une voix. Quelques instants plus tard, Yves Galland me rejoignait comme prévu au  Café de Flore : «  Bonjour ! Je ne sais pas comment vous avez fait, mais bravo… » Merci Renaud !

    La gouaille de tes chansons, ton coté « provoc »,  ta façon de tourner sept fois ta langue française dans ta bouche d’incendie pourrait occulter, pour certains,  l(homme de culture qui se cache sous le cuir rugueux de ta veste. tu m’as cloué sur ma chaise à la Dictée de Pivot fans l’amphi de la Sorbonne, quand je t’ai soutenu mordicus une erreur manifeste de genre et d’accord sur un mot rare… Respect !

    Ces petites touches impressionnistes ont fini par former un tableau, couleur d’estime et d’affections réciproques. J’ai découvert le bois tendre dans lequel est taillé ton cœur à travers fes joyaux d’écriture comme « Dans ton sac » ou « Son bleu », dont j’aurai bien aimé avoie eu l’idée avant toi… mais que je n’aurais su réussir aussi bien.

    Je n’ai jamais connu de toi que le côté « Renaud », et pas le côté « Renard »… Aucune vie n’est rectiligne, mais l’avenir en revanche me semble à nouveau lumineuse entre tes mains… Superbe tournant d’une vie « art-gothique » flamboyant, je vous souhaite tout le bonheur du monde pour la nouvelle architecture « Romane » qui s’ouvre à vous en musique, en amour et en paix… J’espère que nous aurons bien souvent l’occasion  d’en partager ensemble les plus beaux moments.

En toute affection,

Yves

 

 

 

Chacun de nous dans son domaine

Participe selon son cœur

A la grande aventure humaine

Par sa quête vers le bonheur.

 

C’est l’idéal de notre enfance

Qui nous pousse à rêver plus haut

A cultiver nos différences

Pour bâtir un monde plus beau…

 

« L’Enfant poète »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

YVES  D.  M’ENERVE !

 Yves D. m’énerve parce que quand je lis ses textes, j’entends une musique comme si ses mots étaient des notes, comme si ses phrases chantaient toutes seules. Avant, ça ne m’avait fait ça qu’avec Georges B., Charles T. ou quelques rares autres.

Yves D. m’énerve parce que quand ses chansons me choppent à l’aube* sur mon radio-réveil, j’en ai généralement jusqu’au soir à les chantonner même si je n’en connais pas les paroles. Vous me direz : ça peut faire aussi ça avec une chanson de licence Q. ou de début S. oui mais là on souffre…(surtout si on connais les paroles…)

Yves D. m’énerve parce que dans son dernier album énervant il écrit pour sa femme de bien jolis mots d’amour que j’aimerais dire à ma gonzesse, impose pour sa fille des chansons que j’aimerais chanter à ma môme, des chansons sur l’amitié qui plairaient à mes potes, des chansons un peu mélancoliques sur l’enfance qui rouvrent des blessures dans mon cœur d’adulte et qui me rappellent que « la mélancolie c’est le bonheur des tristes » dixit Desproges.

Yves D. m’énerve parce qu’avec son air de ne pas y toucher il chante l’Essentiel : l’Amour et la Liberté et l’amour de la liberté :

« Mais plus haut que les citadelle,   plus solides et plus résistants sont les murs qu’ont bâti la haine et la peur dans le cœur des gens… »

Yves D. n’eut jamais écrit que ces vers là qui sont du bois dont on fait les poètes, que je lui pardonnerai quand même de s’être fait décorer par 40 académiciens.

 Mais, Dieu me tripote, des comme ça, habillés de musiques jolies, Yves D. en a des milliers dans sa guitare et sous sa petite casquette.

Il va vous les offrir ce soir et je parie que vous serez énervés**vous aussi,

 

* Ben quoi ? Huit heures du mat’ c’est l’aube non ?

**Enchanté !!! pas énervé ! Enchanté, voilà le mot que je cherchais depuis le début

 RENAUD

 

  Renaud