Des fonds de verres de rhum, là où quelques cendres finissent en fin de soirée, les phénix renaissent parfois. Un battement de plumes sur la scène marseillaise, le chanteur Renaud viendra se produire au Dôme le lundi 19 décembre 2016 pour la tournée de son nouvel album « Toujours debout ». L’occasion de revenir sur l’un des monuments de la chanson française, l’écroulé reconstruit qui fait lever les mains de toutes les générations.
Du jour où il sut lire, il fut poète
L’année 1952, un genre de poète peu commun voit le jour dans le quatorzième arrondissement de Paris. Un frère jumeau et des yeux bleus mélodieux, Renaud Séchan grandit sur le sein d’une maman prolétaire, s’abreuvant du lait protestataire de papa. Une enfance à la confiture, vive la vie, il s’oriente dès son plus jeune âge vers le dessin et l’écriture, s’évacuant du nuage opaque qu’est l’école, l’autorité finalement. À l’adolescence c’est un ivrogne du rêve. Il a les opinions d’un monde qu’il veut meilleur, s’intéresse à la politique et proteste à la Sorbonne en Mai 68. C’est là qu’il va écrire sa première chanson « Crève Salope ». Déjà cette méfiance impolie des forces de l’ordre et de l’autorité qui ne le quitteront plus. Aujourd’hui tout a continué, les manifestations conjuguées au présent, l’apprentissage de l’inquiétude par les étudiants et le beurre des médias que l’on aime discréditer. Mais les révoltes sont muettes.
Renaud y mettait les mots
S’il eut l’ambition de devenir comédien, il a joué le rôle de l’écrivain. Du porteur de paroles qui ouvre les portes aux autres : à ceux de la rue, aux rebuts de la société qui n’a que des problèmes. De l’argot de la scène aux ragots de la rue, le monde aurait mauvaise haleine. Les journaux vous l’apprennent : vous seriez plus malheureux que ce que vous ne le croyez, prétend un dernier sondage. Le chanteur soulevait les poings ainsi que les problèmes. Ces vieux textes résonnent désormais dans des prolongations auriculaires, vos écouteurs dans le métro. On avait quelques frasques en tête, nous la génération 90’, le souvenir d’un bandana rouge et les accords de « Société tu m’auras pas ». La prose ne laisse personne indifférent, Renaud est un chanteur intergénérationnel. Pire, la relève lui voue un profond respect : « Un talent brut » s’articule dans leurs bouches. Comme s’ils gardaient le souvenir d’une époque qu’ils n’ont pas connue. Ou bien celle dans laquelle ils ont grandi, nostalgie des chansons à texte… Sur nos berceaux « Mistral Gagnant », une comptine à la guitare.
Un chanteur maudit
Rebel devenu loubard, écorché vif et père de
famille. Une autre époque quand il s’assagit. Mais l’incident du Parc Gorki
à Moscou pour le Festival mondial des jeunes et des étudiants en 1985, lui
fout l’épine d’une rose en plein cœur. Entamant une reprise du « Déserteur »
de Boris Vian, trois mille spectateurs sélectionnés à l’entrée vont
quitter les lieux. La Russie n’est pas prête à l’ouverture dans un contexte
de relations internationales tendues et signe le contrat de sa désillusion.
Un consensus plus tard, amoché par un
« Putain de Camion » l’inspiration le quitte, tel Coluche. Tel
Desproges aussi. Le Zénith qu’il inaugure en 1986, c’est insuffisant
pour le garder en vie. Les années 1990 l’abandonnent au comptoir du bar. À La
Closerie des Lilas, il joue les acrobates solitaires en se tournant le
dos à lui-même.
De la plume qui bat de l’aile à la tournée Phénix
Les années 2002 et 2006 marquent les retours avortés de l’animal « Boucan d’enfer » puis « Rouge Sang », quand la plume est un couteau qui fait couler l’encre. Une qualité de premier de la classe, celle d’avouer ses faiblesses. Des manquements à la sonnerie mais pouvoir s’annoncer présent. Surtout des engagements socio-politiques toujours sur les bancs et d’une voix moins certaine, Mister Renard garde le talent. Un don autant ineffaçable que la tâche d’un bon cru sur vos napperons.
Nous aurons attendu dix ans pour qu’il renverse de nouveau les spiritueux sur la table. Sorti en avril 2016, le nouvel album de Renaud « Toujours Debout » s’est révélé être plus qu’un hymne à sa condition physique : l’artiste s’est levé de sa chaise, révolté par les attentats terroristes. Un bond sur l’inspiration, un saut pour la liberté. De toutes les générations, décembre sera le cap sur un public qu’il a déjà gagné.
TEXTE _Julie Mandruzzato
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La Provence
Marseille : Renaud, le "Phénix" "Toujours debout"
Après dix ans de silence, Renaud reprend à 64 ans le chemin de la scène avec son "Phénix Tour". Il fait étape aujourd'hui et demain à Marseille, poursuivant son long périple. Photo Yann Orhan
Personne ne se serait aventuré, dix en arrière, à parier un seul kopeck sur son retour sur scène. Renaud est pourtant revenu, avec un disque de bonne tenue , après avoir traversé des périodes de profonde déprime et d'alcoolisme destructeur. "Toujours la banane, toujours debout/J'suis retapé, remis sur pied/Droit sur mes guibolles, ressuscité," clame l'artiste comme pour se rassurer, dans Toujours debout. Cette résurrection surprenante a eu un large écho auprès du public puisque le disque sorti le 8 avril dernier s'est facilement écoulé à plus de 600 000 exemplaires quelques semaines après sa sortie.
À 64 ans, le chanteur de Lola, Miss Maggie ou Hexagone, semble avoir mis un terme, au moins provisoirement, à dix années d'errance, de doutes et d'apparitions furtives dans les médias avec son bien nommé Phénix Tour. Une tournée qui le conduit à honorer une cinquantaine de dates de concerts, dont deux au Dôme, à Marseille. Toujours sur le fil de l'émotion, Renaud semble avoir repris goût à la chanson si l'on en juge par les titres bien ficelés de son dernier album, le 16e de sa carrière.
Dans Les Mots, dont la mélodie rappelle un peu celle de Mistral gagnant, il évoque clairement ce pouvoir salvateur du texte : "Poèmes, chansons, brûlots/Vous ouvrent des mondes plus beaux/Des horizons toujours nouveaux/Qui vous éloignent des troupeaux". Inspiré encore, quand il s'agit de s'adresser à son fils Malone auquel il dédie deux titres (Petit bonhomme, Ta batterie), ce regard attendri sur sa progéniture étant sans doute l'une des principales motivations de la renaissance du "Phénix". Sa petite fille Héloïse (fille de Lola Séchan et de Renan Luce) a droit également a de jolis couplets dans une chanson éponyme. L'actualité est bien présente dans son dernier opus avec J'ai embrassé un flic, allusion à la marche de janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo et de Hyper Cacher.
Plus de bandana rouge en évidence donc, mais des tatouages nombreux sur le corps, comme si chaque étape de sa vie, heureuse ou malheureuse, devait rester gravée sur sa peau. "Je livre mon âme dans mes chansons comme une stripteaseuse montre son cul", déclarait Renaud dans le magazine Gens du sud (mai-juin 2016). Son âme cabossée est pleine d'amour et de reconnaissance envers ceux qui l'ont tiré hors de l'eau au moment où il se noyait dans la déprime. Reste à savoir si le marathon des concerts n'aura pas raison de sa santé. Et si sa voix, déjà tellement fragile, pourra tenir la distance. On peut faire confiance en tout cas à son public pour assurer les choeurs s'il avait, un de ces soirs, une quelconque défaillance. Un Renaud renaissant. Prêt pour vivre une belle échappée.
Ce soir et demain au Dôme, à 20h. 39/49€
Philippe Fan
Source La Provence du 19.12.2016
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