Hier soir à Evry... Renaud
Paris Match | Publié le 02/10/2016 à 11h03 |Mis à jour
le 02/10/2016 à 11h22
Par Benjamin Locoge
Renaud sur la scène de l'Agora d'Evry, samedi soir.Benjamin Locoge
Le chanteur Renaud a fait un émouvant
retour sur scène à Evry, samedi soir. Porté par un public heureux de le
retrouver, il a joué plus de 30 chansons.
Il y a un an, l’idée d’un nouvel album de Renaud faisait sourire. De là à
imaginer une tournée… Hier soir pourtant à Evry, le chanteur énervé donnait le
coup d’envoi de son «Phénix tour». Soit plus d’une centaine de dates d’ici
l’été prochain, dans la foulée de l’immense succès de son dernier album, déjà
vendu à plus de 700 000 exemplaires. Depuis des semaines, les rumeurs les plus
folles couraient : Renaud avait replongé, Renaud ne savait plus chanter,
Renaud n’avait plus de voix, Renaud ne viendrait pas… A 20h05 pourtant, les
lumières de l’Agora s’éteignent et un immense tunnel apparaît sur le rideau
blanc qui cache la scène. La symbolique est claire : le chanteur sort
enfin de son antre pour mieux apparaître dans la lumière.
Alors que le groupe a déjà entamé les premières mesures de «Toujours
Vivant» le rideau tombe laissant apparaître Renaud, debout, perfecto de
rigueur, bandana rouge autour du cou, debout, tremblant, concentré sur son
chant. Le chant donc. Effectivement, sa voix n’est pas au top. Mais on sent le
bonhomme bien trop saisi par l’émotion pour lui en vouloir. A la fin du titre,
la salle lui réserve une standing ovation incroyable.
Souvenez-vous de la victoire de la France en 1998 face au Brésil en finale de
la Coupe du monde de foot. Eh bien ce soir à Evry, la clameur dépasse
l’entendement.
Depuis neuf ans, Renaud s’était contenté de quelques apparitions ici ou là,
sans jamais se lancer dans un vrai tour de chant. Il y a neuf ans, il avait
conclu sa tournée par un concert marathon de cinq heures à La Cigale où il
avait interprété 69 chansons. La barre était donc haute et l’enjeu
considérable. Dans le fond, peu importent les errements de son chant, il est
là, en chair et en os, et c’est déjà énorme. «On ne s’est pas vu depuis 1997»,
lance-t-il, corrigeant son erreur dans la foulée. «Enfin bon, merci, merci
beaucoup d’être là.» La communion avec son public est incroyable. Il tend son
micro vers la foule d’un geste peu assuré, cette dernière lui répond en
reprenant les paroles en chœur de «Docteur Renaud, mister
Renard».
Renaud sur scène samedi soir à Evry
N’importe quel artiste serait cloué au pilori pour une telle indigence
vocale. Mais vu l’histoire de Renaud, on est prêt à tout lui pardonner. On sent
sa souffrance, son envie de bien faire. Et le voilà qui balance «En cloque»,
l’une de ses plus belles chansons, qui fait hérisser les poils de tous les
spectateurs. Peu à peu, l’effort va payer, Renaud va gagner en confiance,
commencer à dialoguer avec le public : «La prochaine a été écrite
par mon p’tit gendre que j’adore, Renan Luce», lance-t-il pour présenter «Les
mots». Les écrans projettent l’intérieur d’une librairie, un kakemono descend
des cintres pour projeter un hologramme, l’effet est saisissant. Le chanteur
finit par tomber le perfecto pour empoigner une guitare. «Ca fait dix ans que
je n’en ai pas joué, les doigts sont rouillées, mais ça va aller», promet-il.
Et effectivement, ça va aller de mieux en mieux. Car Renaud possède désormais
un répertoire magistral dans lequel il peut allègrement piocher.
"Je crois que toutes les vérités sont bonnes à dire, n'en déplaise à cette connasse de l'Obs''
Ce «Phénix tour» lui permet notamment de remettre au goût du jour son album
«A la belle de mai», paru en 1994, le dernier avant sa première descente aux
enfers. Quatre extraits en seront joués, montrant que l’auteur a toujours été
inspiré. «La prochaine, au vu de mon ancien répertoire, est une chanson
révolutionnaire» dit-il pour présenter «J’ai embrassé un flic». Là aussi, les
images sont subtiles, une plongée dans un défilé rendant hommage à «Charlie
Hebdo». Pas besoin d’en dire plus. Certains textes se passent de commentaires.
Pour mieux commenter les réseaux sociaux («Pour vous les paparazzis qui
mettront tout le concert dès ce soir sur Facebook») il ressort «A la téloche».
L’occasion aussi de se confier à son public au moment où il attrape une
bouteille d’eau. «Depuis un an, je n’ai pas touché un Ricard, il y a bien
quelques bières parfois… » La foule adore et l’ovationne comme il se doit.
On pourrait être attristé par de telles confessions.
Mais Renaud n’a jamais rien caché et c’est pour cela qu’il est si
important. Dans la seconde partie du spectacle il va démontrer qu’il incarne
l’inconscient collectif français depuis plus de 40 ans. Avant, il lance une
pique à la journaliste de l’«Obs» qui n’a pas aimé son
morceau sur l’Hyper Cacher. «Je crois que toutes les vérités sont bonnes à
dire, n’en déplaise à cette connasse de l’"Obs"»,
balance-t-il, sans citer Sophie Delassein, confrère
émérite, reconnue et appréciée. Mais cette fois, l’autoroute est lancée. Sa voix
est chauffée et la ferveur n’en est que plus forte. «Manu» fait vibrer les
nostalgiques, le public prend la place d’Axelle Red
sur «Manhattan-Kaboul». «Morgane de toi» , «500
connards sur la ligne de départ» sont autant de tubes que l’on ne pensait plus
entendre un jour en concert.
Renaud a chanté plus
de 30 titres, samedi soir à Evry.© Benjamin Locoge
«Son bleu», autre extrait de «A la belle de mai» permet de rappeler
discrètement à quel auteur nous avons affaire, qui enfonce le clou avec un
«Mistral Gagnant» poignant. En deux heures de show, Renaud a réchauffé nos
cœurs et prouvé qu’il fallait plus que jamais compter sur lui. Il conclut sur
«La vie est moche et c’est trop court» terrible constat sur l’homme qu’il est
désormais. Mais ce serait trop triste de se quitter ainsi. En rappel, après une
version dansante de «Marchand de cailloux» il se lance dans un medley de ses
tubes d’antan. Pendant vingt minutes, il expédie son passé, pour mieux nous
prouver qu’il est définitivement tourné vers demain. Alors qu’il a déjà quitté
la scène, il apparaît en hologramme, se transforme en Phénix qui s’enflamme et
s’envole vers de nouveaux lendemains. On a retrouvé Renaud, un peu cabossé,
surtout pas usé et terriblement vivant.