Dès le 22
janvier, tous les habitants des vieux quartiers,
zone populaire des abords du Vieux-Port de
Marseille, ont été évacués par tramway. Les
immeubles seront détruits à l’explosif à partir
du 1er février. photos issues des archives de
l'armée allemande et collection personnelle
Il y a tout juste 70 ans, du 20 au
24 janvier 1943, la police française aux ordres de
l’Allemagne nazie, évacuait 20 000 personnes des vieux
quartiers du Vieux-Port avant de les détruire.
22 janvier 1943, 22 heures. Les habitants des
vieux quartiers de Marseille, situés derrière l’hôtel de
ville, que la police française commence à évacuer
violemment, ne savent pas qu’ils sont en train de subir
la plus grande rafle de la Seconde Guerre mondiale en
France. Les tramways marseillais sont réquisitionnés
pour déplacer au total 20 000 personnes de
27 nationalités vers la gare d’Arenc. Direction des
camps à Fréjus (Var) -dans lesquels on fera dormir
hommes, femmes, enfants et vieillards à même le sol-
puis Compiègne et pour certains les camps de la mort en
Allemagne. Deux jours plus tôt, des rafles avaient
frappé environ 250 familles de la communauté juive du
quartier de l'Opéra. Retour sur une tragédie qui a
marqué à jamais l’histoire de la cité phocéenne.
Les appels à l’évacuation retentissent dans les
ruelles du quartier ouvrier de Marseille, à deux pas du
Vieux-Port. On frappe aussi aux portes pour sommer tout
le monde de sortir, de fermer les portes à clé et
d’emmener quelques effets personnels, « pour 48
heures »... Des familles entières marchent dans la rue
avec leur paquetage. Leur tort ? Être des prolétaires et
vivre dans un quartier populaire à une époque où l'État
collaborateur méprise Marseille la rebelle telle « une
Suburre obscène (…), l’écume de la Méditerranée », comme
écrira l’académicien Louis Gillet en 1942. Au fil des
ans, les immeubles avaient accueilli des immigrés
italiens, espagnols, grecs ou des Français venant de
Corse. Plus qu’un quartier, c’est la volonté d’anéantir
une partie de la population jugée ennemie de « l'État
français » qui anime les esprits des nazis et de Vichy.
Au prétexte fallacieux de réprimer les auteurs
d'attentats dans des hôtels marseillais, une machine de
guerre se met en route. Adolf Hitler, lui-même, ordonne
la destruction du quartier, qu’il considère comme un
labyrinthe propice à la résistance et à l’accueil de
déserteurs allemands. Le sinistre René Bousquet
s'attellera à l’opération à la tête de la police
française. Il aurait insisté pour mener à bien la
mission, estimant que cela passerait mieux avec des
uniformes français.
L’ordre est donc venu de Berlin. Le 4 janvier 1943,
Karl Oberg, chef de la police allemande et des troupes
SS sur tout le territoire français, reçoit un télégramme
du Reichführer SS Himmler : « Je ne comprends pas que
vous ne m’ayez pas tenu au courant de l’état de choses à
Marseille. Le Führer est excité et très mécontent. Il a
décidé ce qui suit : le quartier du Vieux-Port qui est
connu pour être un refuge de la pègre internationale
doit être immédiatement évacué par la population (…)
Pour des raisons militaires, le quartier sera abattu par
le génie de la Wehrmacht. »
Le quartier détruit
« par la mine et par le feu »
Himmler lui ordonne la destruction du quartier. Il
s’exécutera en déclarant : « Cette ville est le chancre
de l’Europe et l’Europe ne peut vivre tant que Marseille
ne sera pas épurée (…) C’est pourquoi l’autorité
allemande veut nettoyer de tous les indésirables les
vieux quartiers et les détruire par la mine et le feu. »
Le plan est macabre : confinement, évacuation, fouille
des immeubles, déportation, destruction… et cyniques
indemnisations par le gouvernement français. Les
tractations entre l’État major allemand et René Bousquet
sont menées sur la manière de procéder.
La première vague de la grande rafle débute le
22 au soir. Au total, 40 000 personnes sont contrôlées
et 5 956 arrêtées dans un premier temps. On ira aussi
chercher 2 000 prisonniers aux Baumettes.
Le 23, début de la seconde phase. Le quartier est
encerclé par les automitrailleuses. Quelques professions
(personnels médicaux, médecins, employés communaux,
boulangers…) sont autorisées à rester en ville, tout en
quittant le quartier. Pendant, ce temps, l’Abbé Cayol,
curé de Saint-Laurent, sonne les cloches en guise de
protestation et d’alerte.
On ne traîne pas du côté des autorités, une fois le
quartier évacué. On vide les magasins d'alimentation. La
compagnie d’électricité et de gaz retire les compteurs
et les tuyaux, idem pour les portes, les fenêtres, la
plomberie… Les appartements sont pillés. La zone est
devenue un quartier fantôme.
Pendant ce temps, jusqu’au 27 janvier,
personne ne sort des camps de Fréjus. Du 27 janvier au
2 février, certains sont libérés mais ne pourront pas
regagner leur logement. Au final, 1 494 immeubles seront
démolis à l’explosif le 1er février sur 14 hectares.
L’anéantissement durera 17 jours et mettra
27 000 sinistrés à la rue. Marseille est meurtrie.
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