Gauvain Sers à la Fête
de l'Humanité le dimanche 11 septembre 2022 à 19 heures - Scène joséphine Baker Il mérite un article ! |
« Beaucoup d’artistes démarrent par un télé-crochet ou autre chose dans le
genre. J’avais plutôt envie de raconter des histoires, et ça passe par la scène,
les petits cafés. Sur scène, on ne peut pas tricher. » © Guillaume Clément
Nous sommes attablés dans un café du Paris popu lorsqu’une femme intervient :
« Gauvain, c’est bien vous ? J’aime bien ce que vous faites, je trouve les
paroles de votre dernière chanson intéressantes. » S’il le fallait, preuve est
faite que « les Oubliés », devenue l’hymne des invisibles, a tapé dans le mille.
« Vous n’avez pas pris de position politique ? » ajoute la flâneuse. « Pas
directement, je préfère le faire en chansons. » Percée du RN, espoir à gauche,
retour du Parlement, tout y passe. « C’est drôle. Drôle et touchant, sans filtre
et tellement sincère », relève, amusé, Gauvain Sers. Le chanteur a l’habitude
des sollicitations. Ils ne sont pas si nombreux à chanter les humeurs du pays.
Formé à l’école des cafés de chansonniers des Renaud,Allain Lepress ou Anne
Sylvestre, l’auteur-compositeur-interprète originaire de la Creuse
fera son grand retour à la Fête de l’Humanité, en septembre.
On a parlé, concernant « Ta place dans ce monde », d’un album de confinement.
Celui-ci n’est pas introspectif, mais plutôt tourné vers le monde extérieur.
Ça
a été un petit moment de repli, mais je n’en ai pas forcément parlé dans mes
chansons. Parler des autres, c’est un bon moyen de chercher « sa place dans le
monde ». J’évoque des personnages qui aspirent à des choses très différentes,
mais se posent tous la question de leur utilité sur cette planète. C’est un peu
la colonne vertébrale de l’album. Il y a aussi des chansons plus personnelles,
les plus difficiles à faire sortir parce qu’un peu impudiques.
Votre plus grand succès reste la chanson « les
Oubliés » qui évoque, à travers une école
menacée,l’abandon de la France rurale. Comment
va cette France aujourd’hui ?
J’y
retourne souvent, notamment grâce aux tournées, et je ne suis pas sûr qu’elle
aille très bien. Le résultat des législatives le rappelle. C’est dans ces
endroits reculés qu’il y a tous ces votes extrémistes. Je n’en veux même pas aux
gens. Je crois que ce n’est pas eux qu’il faut fustiger, mais plutôt une
succession de décisions qui a amené à ce vote de désespoir. Il y a un sentiment
d’abandon assez récurrent chez beaucoup de gens très différents, c’est pour ça
que la chanson a résonné en eux. D’ailleurs, je reçois presque tous les jours
des messages pour venir chanter « les Oubliés » dans des écoles. Je crois
qu’être invisible, c’est ce qu’il y a de pire dans la vie. Mieux vaut carrément
être détesté.
Dans votre dernier album, « les Oubliés » sont
partout, à l’hôpital, derrière les caisses, mais
aussi dans les VTC.
Le
monde moderne produit ce genre de métiers avec des conditions déplorables et un
salaire de misère, avec des sans-papiers dont on profite, sans couverture.
J’aimais bien l’idée de la galerie de portraits de personnes qui ont été sur le
devant de la scène pendant cette période-là.
Vous chantez également le racisme de manière
directe. C’est assez rare dans la chanson
française.
C’est
un thème qui m’a toujours préoccupé. On se demande comment ça peut encore
exister au XXIe siècle.
Avec « Sentiment étrange », j’avais envie de faire un état des lieux par rapport
à « Lilly chanson de Pierre Perret – NDLR) : qu’est-ce qui a changé en bien et
qu’est-ce qu’il reste à faire pour qu’on ait les mêmes droits à la naissance ?
Je voulais aussi évoquer le racisme ordinaire, la petite blague à la machine à
café. Il y a encore des gens qui meurent du racisme et on observe la montée de
mouvements fascistes en Europe. Il faut continuer à faire des chansons pour
lutter contre ça.
Mais vous persistez, comme le dit votre
personnage, à
voir « le verre à moitié plein ».
Oui, parce que je crois que les chansons sont aussi faites pour donner de l’espoir, de l’élan, du baume au cœur. Cette envie que la pièce retombe de temps en temps du bon côté est en partie due au confinement. C’est aussi dans ma nature, malgré tout, d’être optimiste. Et il y a parfois des raisons de l’être. Je persiste à penser que l’humain est bon à la naissance.
Après trois albums, vous vous autorisez désormais à chanter vos débuts,
notamment dans « Elle était là ».
En
cinq ans, il s’est passé beaucoup de choses dans le monde. La crise sanitaire
mondiale, le retour de la guerre en Europe, les États-Unis qui reviennent sur
une loi cinquantenaire… Dans ma petite vie aussi. J’essaie de raconter tout ça.
C’est une chanson égocentrée mais, en même temps, une manière de rendre hommage
à la personne sans qui je n’aurais pas eu les épaules pour me lancer là-dedans.
C’est très important pour moi d’expliquer la manière dont j’ai commencé. Les
gens ont parfois l’impression qu’il suffit d’arriver sur une émission de télé
pour que ça marche.
D’ailleurs, vous devez surtout votre succès à un
public fidèle.
Ce
sont surtout les premières parties de Renaud qui en ont été le fer de lance. On
était deux à la guitare dans une formule très intime, sans grandiloquence. Juste
cinq chansons. Le public a tout de suite attendu la suite. Et quand le premier
album est arrivé, il a été au rendez-vous. Je suis content d’avoir démarré par
la scène. Il y a beaucoup d’artistes qui démarrent par un télé-crochet ou autre
chose dans le genre. Je ne me sentais pas légitime pour faire un truc de
chanteur à voix ou d’interprète. J’avais plutôt envie de raconter des histoires,
et ça passe par la scène, les petits cafés. Le Zénith avec Renaud a été possible
parce que j’ai appris à gérer la scène. Commencer par là, ça permet aussi de
fidéliser le public. Et, sur scène, on ne peut pas tricher. Si tu n’es pas
sincère, les gens le sentent tout de suite.
Dans vos chansons, vous évoquez beaucoup la
manière dont vient l’inspiration. Pourquoi ce
besoin ?
Bonne
question… C’est une manière de se mettre en scène, le côté arroseur arrosé
aussi. Dans « La France des gens qui passent », je me mets dans le champ. Je ne
sais pas d’où ça vient. Dans la famille d’artistes à laquelle je me rattache, il
y a des chansons où tu braques la caméra et, en même temps, tu prends un selfie.
Quand je finis une chanson, j’ai l’impression que je n’arriverai plus jamais à
en écrire une autre, comme si elle m’avait pris une part de moi. Il n’y a pas de
recettes pour écrire une chanson. Parfois, elle tombe et il faut être au bon
endroit pour ne pas la laisser passer, sinon, une heure après, je ne sais plus
quoi dire… Quand je sens que je galère, ça ne fait pas une bonne chanson. Alors
que, par exemple, « les Oubliés », j’ai dû l’écrire en à peine deux heures.
Vous allez vous produire à la Fête de l’Humanité
en septembre. Quel est votre rapport à cet
événement ?
Ça
a été un de mes plus beaux souvenirs de scène, face au stand du Nord qui fait
pas mal de bruits (rires). C’est une région que j’adore, où on joue très
souvent, que j’ai chantée aussi. J’ai beaucoup d’admiration pour cette fête qui
rassemble des gens à un prix dérisoire. Il y a là-bas une humanité, comme son
nom l’indique, qui n’existe nulle part ailleurs. Cette année, ce sera le grand
retour, j’ai vraiment hâte d’y jouer. Je n’ai pas l’habitude de changer mes
chansons en fonction des festivals, mais, là, je vais essayer d’appuyer sur
l’engagement.
Gauvain Sers sera à la Fête de l’Humanité le dimanche 11 septembre à 19 heures
sur la scène Joséphine-Baker.