À La Soude, les riverains ne nient pas les "violences et les trafics",
tous louent aussi le "calme du quartier et la solidarité des habitants".
Photo Sophie SPITERI
"La Soude n'est pas un ghetto,
c'est MA Cité "
Reportage Guillaume AUBERTINCréé le 02/10/2012Parce que ce sont eux qui en parlent le mieux... nous leur donnons la parole. Aux Marseillais de nous décrire leur ville et ses richesses, leur quotidien, leurs espoirs.
Loin, très loin, de l'image féroce dressée par les médias nationaux depuis des semaines. (...) nous vous proposons, aujourd'hui, une halte dans le 9e arrondissement, à La Soude .
Lassés de voir leur quartier décrit comme un "ghetto" rempli de "voyous", les habitants nous confient leur fierté d'être d'ici, là où, disent-ils, il fait "très bon vivre"...
Vue aérienne Terrasse de La Soude
Josiane, 62 ans, retraitée de la fonction publique : "Fière de mon quartier, je ne déménagerai jamais"
Du haut de son T4 situé au sixième étage, elle a "la chance d'avoir une vue complète sur tout le quartier". Ce quartier, elle l'aime et le respecte "plus que tout". Alors, quand Josiane entend dire "toutes ces choses sur La Soude, comme quoi il n'y a que des violences, des règlements de comptes et tout ça..." cela l'a fait sortir de ses gonds. "Je suis très fière de mon quartier et je ne déménagerai jamais." Voilà vingt-cinq ans qu'elle s'est installée au coeur du 9e arrondissement. "Même si on me donne une villa dans les quartiers Nord, je ne partirai pas", approuve Alain, son époux. Qui relativise aussi : "Des coups de feux, c'est vrai qu'il y en a, et qu'il y en aura sans doute d'autres. Mais encore faut-il s'attaquer aux vrais problèmes et à ce fléau (le trafic de drogue) qui fait vivre beaucoup de pays."
Mère de "deux grands enfants employés à la SNCM", Josiane a travaillé "toute (s)a vie à la mutuelle du ministère de l'Intérieur". Aujourd'hui, elle tient à rendre "hommage à tous ces gens qui travaillent. Car ici, insiste-t-elle, il n'y a pas que des voyous. Quand je me lève le matin à 6 heures, je vois toutes ces lumières allumées dans les immeubles. C'est la preuve que ces personnes mettent leur réveil pour aller gagner leur vie." L'insécurité, elle ne connaît pas. "Cela m'arrive de rentrer à minuit sans avoir peur, justifie-t-elle . Si on reste ici, ce n'est pas par nécessité, mais parce qu'on s'y sent bien. Il fait très bon vivre, le quartier est bien entretenu par notre bailleur (Habitat Marseille Provence) et souvent rénové" (ndlr : Le quartier de La Soude est inscrit dans le programme de L'Agence nationale de rénovation urbaine).
Ce qui l'insupporte le plus, c'est "quand on raconte des bêtises sur La Soude"."Même les jeunes, ici, sont sympas, poursuit-elle. Quand on a un problème pour démarrer sa voiture, on trouvera toujours quelqu'un pour nous aider.""Mais lorsqu'on dit qu'on vient de La Soude, coupe son mari, les gens tiquent un peu, parce qu'ils lisent trop la presse, mais faut pas croire tout ce que l'on dit." Comme le résume Josiane : "Dans le bâtiment, tout le monde s'entend bien, on fait souvent des soirées coquillages !"
Daniel, 20 ans, travailleur intérimaire : "ici, si tu veux t'en sortir, tu peux !"
Il n'habite pas exactement à La Soude, mais "juste à côté", dans le quartier voisin du Lancier. Daniel est la preuve vivante - pour ceux qui en doutent encore - que l'on peut porter une casquette de travers et de gros écouteurs et être à la fois poli, abordable, et le plus accueillant du monde."Non, tous les jeunes ne sont pas violents et malpolis", glisse-t-il, très sérieusement, comme s'il avait l'air d'entendre souvent l'inverse.
Lui a l'habitude de "traîner plutôt vers Dromel ou dans les quartiers Nord". Il sait donc de quoi il parle lorsqu'il affirme que "La Soude n'est vraiment pas un ghetto. On ne peut parler de quartier chaud. Il y a pire que ça. Ici, précise-t-il, il y a de tout : des écoles, un stade, des centres, une bibliothèque... Si tu veux t'en sortir, tu peux !Les gens sont un peu plus aisés que dans les quartiers difficiles".
Travailleur intérimaire, Daniel fait aussi partie de ceux qui s'insurgent contre le procès qui est fait un "peu trop facilement" à Marseille depuis ces dernières semaines. "Des violences, il y en a partout, dans toutes les grandes villes, explique-t-il. Je ne sais pas pourquoi tout le monde se met à boycotter notre région. Peut-être parce Marseille est la capitale de la culture en 2013 ? Il faut arrêter de donner cette mauvaise image." Daniel est fier de sa ville, conscient de ses richesses et de son attractivité : "On a quand même énormément de touristes et tous ne se font pas racketter !"
Xavier, 47 ans, Pharmacien : "ce n'est pas Chicago, les gens sont paisibles"
Comme il dit : "Dans certains quartiers du centre-ville, je ne me promènerai pas tout seul la nuit. Contrairement à ici". Cela fait dix ans que Xavier est installé à La Soude.
Et "depuis toutes ces années", il n'a "jamais eu de problème particulier"."C'est vrai qu'il y a quelques mois, reconnaît-il, un règlement de comptes a impliqué des jeunes du quartier, mais sinon c'est tout !" Lui non plus n'est pas du genre à vivre dans la peur ou l'insécurité. "Ici, ce n'est pas Chicago", sourit-il. La porte de sa pharmacie est "toujours ouverte". Et "jamais", il n'a été "braqué ou agressé".
"Des jeunes qui squattent", il en voit de temps en temps. Cela leur arrive effectivement de "faire un peu de bruit, mais ils ne sont pas violents" dit-il. "Après, des voyous, il en existe dans tous les quartiers. Et souvent d'ailleurs, il suffit d'un ou deux jeunes qui gangrènent les autres. C'est vrai, les vols de sacs à l'arraché, cela arrive, mais c'est comme partout, il faut aussi faire attention".
Mais "en aucun cas", selon lui, il faut stigmatiser le quartier de la Soude. À l'instar des autres habitants du quartier, Xavier est conscient que "le deal existe. Tout le monde le sait, mais la plupart des riverains sont âgés, précise-t-il. Ici, les gens sont calmes et paisibles". Apprécié des habitants du coin, le pharmacien de La Soude tient toutefois à faire remarquer que "le problème, en fait, c'est la police. Elle est tout simplement inexistante. À part lors de quelques opérations coup-de-poing qui ne servent pas à grand-chose, elle passe de temps en temps, sans rien faire. On se demande à quoi ils servent".
L'école de La Soude
Andréa, 21 ans, aide à domicile : "ici, il y a tout ce qu'il faut"
C'est "à cause d'un voisin qui faisait du tapage nocturne", qu'Andréa a quitté la Corniche, il y a cinq mois. Direction La Soude. Aujourd'hui, elle ne regrette rien. Mieux : la jeune fille se dit tout bonnement "heureuse de vivre ici", dans un quartier qu'elle décrit comme "calme, paisible" et où "la verdure ne manque pas" - "l'idéal quand on a des chiens à promener". "Il y a tout ce qu'il faut à proximité. On ne manque de rien", résume-t-elle.
"En plus, on n'est pas loin de Luminy." Andréa le sait aussi : son quartier souffre d'une sulfureuse réputation qu'il traîne un peu à tort. Mais elle s'en moque : "Les gens me disent de ne pas me promener toute seule, sans mes chiens, mais ils se trompent. Ici, les gens sont chaleureux et solidaires. Ce n'est pas comme dans certains autres quartiers où c'est chacun pour soi !"
René, 78 ans, retraité : "Les jeunes ? S'ils m'agressent... Moi, je me défends !"
"Ici, je suis connu... mais je n'ai jamais été recherché !" René a un sacré sens de l'humour. Lorsqu'on lui parle de Marseille, de son quartier, et des histoires de violences qui inondent les médias, ce retraité - né il y a 78 ans "juste à côté de la mer, dans un cabanon de la calanque de la verrerie" - dégaine aussitôt : "A mon époque de la Camorra, raconte-t-il, assis sur son banc de prédilection, dans un jardin pour enfants qui longe l'avenue de La Soude, on savait s'occuper des jeunes qui emmerdaient les vieilles personnes. Mais nous, on n'appelait pas les flics. On réglait ça tout seul en leur mettant une bonne raclée !" Pas commode, le René. Lui qui vit dans le quartier depuis 38 ans, affirme ne "jamais" avoir eu de problèmes.
"Ici, on sort tranquillement en journée. Les habitants font leur marché. Et le soir, c'est assez calme, il n'y a pas de bruit", témoigne celui qui a commencé sa carrière "dans le bâtiment", avant de devenir "chauffeur de taxi" et de travailler enfin, "dans un cabinet d'études d'huissier". "Des mange-merde, il y en a partout", résume-t-il dans un franc-parler inimitable.
"Mais le quartier n'est pas plus violent qu'un autre.
Ici, ajoute-t-il, il y a des jardins pour les enfants, les bâtiments sont rénovés, c'est propre. Et à part des moustiques et des guêpes, personne ne vient" l'embêter lorsqu'il se pose dans son parc fétiche.
René se sent "très bien à La Soude". Ici, c'est chez lui. Et "même si je suis un peu aveugle, et que je n'ai plus la force de danser ni de jouer au billard, prévient-il, les jeunes... s'ils m'agressent. Moi, je me défends !"